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Le journal d'Albert Marouani

Cours pour étudiants, Conférences "grand public" sur des sujets économiques d'actualité, Articles à caractère scientifique publiés dans des Revues ou présentées dans des colloques internationaux, Analyses économiques et politiques, Point de vue...

RÉFLEXIONS SUR LA SORTIE DE L'EURO

LA SORTIE DE L’EURO : LES ENJEUX

Albert Marouani

Professeur émérite à l’Université Nice-Sophia Antipolis/Université de la Côte d’Azur

(GREDEG/CNRS ; CEMAFI INTERNATIONAL)

(2 février 2017)

L’UE est née d’une volonté politique de construire un avenir commun pour des peuples qui se sont entretués au cours de deux guerres mondiales, qui ont fait près de 100 millions de morts. Au cours de la seconde guerre, l’Europe a été le théâtre du pire génocide qui ait jamais été perpétré dans toute l’histoire de l’humanité avec l’extermination de masse de 6 millions de Juifs par les nazis, intervenant après le génocide arménien par l’armée turque.

Il fallait aussi reconstruire des économies dévastées. La CECA puis la CEE à 6 pays ont préfiguré la construction économique européenne. D’autres pays d’Europe occidentale ont par la suite rejoint le « marché commun ».

Le véritable bond en avant de la construction de l’UE est intervenu après la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de la guerre froide. A partir de ce moment, le politique a pris le dessus sur les considérations purement économiques qui avaient prévalu jusqu’alors. C’est ainsi qu’a été créée  l’UE en 1992, avec le traité de Maastricht qui a jeté les bases des institutions européennes et défini l’objectif de la création d’une monnaie commune, l’Euro, qui devait voir le jour à l’issue d’un processus d’intégration monétaire et financière.

Le 1er janvier 2001, 12 pays de l’UE ont basculé dans l’Euro pour partager une monnaie commune sur la base d’une conversion selon un taux fixe et définitif de leurs anciennes monnaies.

Le choix des pays « bénéficiaires » de cette monnaie unique a été le fruit d’une décision politique et non pas économique. Ou plutôt, il s’agissait dans l’esprit de ses initiateurs de «forcer» à une intégration politique par le moyen d’une décision économique qui comme on le verra par la suite, va s’avérer lourde de conséquences néfastes pour l’ensemble de l’UE.

La création d’une monnaie commune à plusieurs Etats-Nations aurait dû intervenir en principe postérieurement à une intégration politique vers un Etat supra national en vertu du lien que toute monnaie doit avoir avec un pouvoir régalien. En général le processus d’intégration monétaire doit s’effectuer parallèlement à l’intégration économique, c’est à dire à une convergence des économies européennes vers le haut (phénomène de rattrapage attendu des économies les moins développées vers les économies les plus développées).

Les instances européennes ont estimé que l‘intégration monétaire à travers la monnaie unique, allait faciliter l’intégration économique et politique.

Non seulement il n’y a pas eu d’intégration politique, mais il n’y a même pas eu de simple coordination des politiques macroéconomiques. De ce fait certains pays ont su tirer profit de la mondialisation par des politiques mercantilistes unilatérales, alors que d’autres ont subi de plein fouet la désindustrialisation de leurs économies à travers les délocalisations.

Force est de constater aujourd’hui que la création de l’Euro a accentué les divergences économiques et sociales entre les pays (non-convergence des niveaux de développement) et à l’intérieur de chaque pays (croissance non-inclusive et inégalités croissantes des revenus et des patrimoines).

On ne peut nier malgré tout, que l’Euro a pu être un facteur puissant d’identification des peuples européens à une même entité politique, à l’instar du Dollar pour les Etats-Unis. Il est probable que l’Euro a pu contribuer à faire émerger une «conscience européenne» à travers l’utilisation de pièces et de billets identiques pour payer des transactions et faciliter la circulation des marchandises, des capitaux et des personnes au sein de l’espace de l’Union monétaire européenne.

Cependant avec la dématérialisation bientôt complète de la monnaie dans les transactions, l’Euro risque de se réduire à une simple unité de compte qui sera elle-même concurrencée par le développement des monnaies parallèles. Ce lien d’identification risque ainsi de s’estomper dans l’avenir.

Aujourd’hui, l’UE subit une crise générale de régression et de décomposition. Brexit, chômage, faillite de la Grèce, montée généralisée du populisme, flux migratoires, terrorisme islamiste, conflit russo-ukrainien, guerre contre DAESH, etc. Sur tous ces sujets, les pays de l’UE sont divisés.

En quoi l’Euro est-il la cause de cette crise ou en fait-il partie ?

En quoi la « sortie » de l’Euro peut-elle être une solution ?

C’est à ces deux questions que nous essaierons d’apporter des éléments de réponse sans prétendre ni à la vérité ni à l’exhaustivité.

SOMMAIRE

I/LES GRILLES DE LECTURE THÉORIQUE À PROPOS DE L’EURO

II/ LE CONSTAT ÉCONOMIQUE EMPIRIQUE DE LA ZONE EURO

III/ LES ENJEUX ÉCONOMIQUES D’UNE SORTIE DE L’EURO

I/

LES GRILLES DE LECTURE THÉORIQUE À PROPOS DE L’EURO

A/ LA THÉORIE DES ZONES MONÉTAIRES OPTIMALES (une erreur de conception initiale de l’Euro)

1/ LES AVANTAGES DE LA MONNAIE UNIQUE EN TERMES DE ZONE MONÉTAIRE OPTIMALE

L’économiste R. MUNDELL au début des années 60 a élaboré la théorie des « zones monétaires optimales » (ZMO) qui lui a valu bien plus tard, le prix Nobel.

Les avantages de l’adoption d’une monnaie commune unique par plusieurs pays se mesurent en termes de :

  • diminution des coûts de transaction,
  • plus grande transparence des prix,
  • diminution du risque de change et de taux d’intérêt,
  • d’intensification de leurs échanges commerciaux,
  • de facilité de gestion des trésoreries d’entreprise,
  • de diminution des coûts et des prix,
  • d’amélioration du bien-être pour tous les agents économiques appartenant à la zone monétaire et de
  • CONVERGENCE entre leurs économies vers plus d’INTÉGRATION.

2/ LES INCONVÉNIENTS DE LA MONNAIE UNIQUE.

Les inconvénients d’une monnaie commune pour chaque pays sont liés à l’impossibilité de mener séparément une politique de change et une politique monétaire pour FAIRE FACE À DES CHOCS ASYMÉTRIQUES.

En effet, pour chacun des pays le taux de change apparaît comme fixe (même s’il peut varier pour l’ensemble de la zone) et il ne peut agir séparément sur la politique monétaire car elle est désormais définie à un niveau supra national en termes d’objectifs et de moyens (taux d’intérêt, crédit, supervision, etc.).

De ce fait, il peut y avoir DIVERGENCE croissante entre les économies de la zone monétaire commune.

3/ LES CONDITIONS D’UNE ZONE MONÉTAIRE OPTIMALE.

L’analyse de Mundell en 1961, repose sur la nature et le jeu des variables d’ajustement qui permettent à un pays de tirer avantage de son intégration à une union monétaire.

L’alternative est la suivante :

  • Soit le taux de change est fixe et les prix et salaires doivent être parfaitement flexibles, ou à défaut c’est le facteur travail qui doit être mobile entre les pays de la zone;
  • soit les prix et les salaires sont rigides et la mobilité du travail faible, et, dans ce cas, le taux de change doit être flexible et la zone monétaire n’a pas lieu d’être.

McKinnon en 1963 affine cette analyse en intégrant le DEGRÉ D’OUVERTURE DE L’ÉCONOMIE (X+M/PIB), c’est à dire en distinguant au sein de chaque pays le secteur des biens échangeables (X+M) et le secteur des biens non-échangeables (PIB- (X+M)). Plus un pays est ouvert sur l’extérieur et moins il a à perdre en adhérant à une union monétaire.

Kenen, en 1969 introduit le degré de DIVERSIFICATION DU TISSU PRODUCTIF, qui peut se substituer à la fixité des taux de change pour absorber et diminuer l’impact négatif de chocs asymétriques. Plus le tissu est diversifié, moindre est le risque d’être affecté par un choc spécifique et plus un pays tire avantage de son appartenance à une zone monétaire.

Par la suite, d’autres critères ont été ajoutés pour approfondir la notion de ZMO, tels que la diversification des productions, le sentiment d’appartenance à un ensemble commun, la distance, la taille économique, une langue commune, etc.

Cooper (1977) et Kindleberger (1986) ont notamment souligné l’importance des «préférences homogènes». Une union monétaire est analysée comme un bien collectif qui suppose pour fonctionner que les objectifs de politique économique des différents gouvernements convergent. C’est ainsi que l’on pourra par exemple, en cas d’écarts trop importants entre les niveaux de développement des systèmes productifs nationaux, envisager des transferts de revenus entre pays à l’intérieur de la zone, pour aider à la résorption des déséquilibres.

Dès lors que l’ensemble de ces conditions sont réunies, l’union monétaire conduit à une intégration économique des partenaires. On observera alors un recul du commerce inter-branches au profit du commerce intra-branche (échange croisé de produits similaires appartenant à une même branche), une convergence des salaires et des niveaux de vie, une diminution généralisée du chômage, une croissance plus soutenue et en définitive une amélioration du bien-être économique et social pour l’ensemble des populations.

A l’inverse si au départ ces conditions ne sont pas réunies sur le plan économique des structures productives, comme sur le plan politique d’une volonté commune d’intégration complète monétaire, budgétaire et fiscale, on assistera à un processus croissant de désintégration de l’ensemble de la zone.

CONCLUSION

En faisant entrer dans la zone euro des pays très hétérogènes en termes de structures productives, de niveau de développement, d’ouverture au commerce mondial, de préférences de politiques économiques, etc., les concepteurs de l’euro n’ont pas pris en compte les enseignements de la théorie des zones monétaires optimales. De ce fait la création d’une monnaie unique commune a entravé les possibilités d’ajustement aux chocs exogènes des pays les plus fragiles. Chaque pays de la zone monétaire commune se trouve en effet privé de toute action sur le taux d’intérêt et le taux de change. De ce fait il se retrouve handicapé dans ses capacités d’ajustement, dès lors que sa balance commerciale est déficitaire ou que sa croissance ralentit. En outre, les concepteurs de l’euro n’ont pas perçu sur le plan macroéconomique, les limites de la régulation marchande et la nécessité de dispositifs institutionnels et politiques pour répondre aux objectifs de convergence et d’intégration économique et sociale des pays membres.

B/ LES PRÉSUPPOSÉS MACROÉCONOMIQUES (des erreurs persistantes de politique économique.)

Les concepteurs de l’Euro sont des adeptes d’une vision néo-libérale, que Stiglitz appelle le «Fondamentalisme du marché». Il y a derrière cette vision, une sorte de foi quasi religieuse, dans la capacité du marché à corriger spontanément les déséquilibres économiques de toute nature par la seule flexibilité des prix, et à conduire ainsi à la croissance et au plein emploi. Pour cela il suffit que l’Etat s’abstienne de toute intervention économique ou qu'il se comporte de manière vertueuse en respectant une stricte neutralité vis-à-vis de la monnaie (principe d’indépendance de la Banque centrale) et une stricte orthodoxie budgétaire en ajustant ses dépenses publiques aux seules recettes fiscales.

Sans être des adeptes de l’économie planifiée centralisée, ni des opposants aux principes du libéralisme et de l’économie de marché, la plupart des théoriciens de la macroéconomie savent pertinemment que le marché de concurrence pure et parfaite est une abstraction théorique qui n’existe pas dans la réalité. Les phénomènes d’asymétrie d’information, de rationalité limitée, de décision en univers incertain, d’aléa de moralité, de sélection adverse, etc. ont fait l’objet de suffisamment de travaux théoriques et empiriques (qui ont valu à leurs auteurs des prix Nobel) pour que l’on ne tombe plus dans les fadaises de l’ajustement automatique et de l’autorégulation spontanée des marchés.

Les initiateurs de la monnaie unique avaient pourtant parfaitement conscience des disparités économiques entre les pays qui devaient adopter l’Euro comme monnaie commune se substituant à leurs anciennes monnaies nationales. C’est la raison pour laquelle ils ont fixé, dès 1992 des «critères de convergence » dans le fameux «traité de Maastricht» (déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB et dette publique inférieure à 60% du PIB). Plus tard le «Pacte de stabilité et de croissance» est venu confirmer l’engagement de tous les pays membres de l’UE à respecter ces critères.

Le mystère demeure de savoir en quoi ces «critères» favoriseraient la «convergence» entre les pays membres et pourquoi cette obsession sur ces deux chiffres quelles que soient la conjoncture économique et les structures propres à chaque pays ?

Pourquoi aussi cette focalisation sur les seuls déséquilibres publics alors qu’ils sont souvent subordonnés à d’autres déséquilibres plus fondamentaux tels que l’écart entre épargne et investissements, ceux du marché du travail, des structures financières, des écarts de revenus, des disparités régionales, etc. ?

Pourtant des pays qui se situaient à l’intérieur des critères de Maastricht (Espagne, Irlande par exemple) ont subi plus fortement la crise des subprimes que d’autres, qui avaient pourtant des déficits publics beaucoup plus importants.

Quels sont donc les arguments théoriques sous-jacents à ces «critères de convergence» ?

Il y a d’abord la «confidence theory» (la théorie de la confiance). On suppose que dès lors que l’Etat aura réduit son déficit budgétaire, la confiance des marchés sera rétablie, l’investissement repartira, le chômage baissera et la croissance reviendra.

Aucun modèle économétrique n’a apporté la preuve que la réduction des déficits publics et des dépenses publiques rétablit la confiance en entrainant une augmentation des investissements et une reprise de la croissance.

Hoover, après le krach boursier de 1929, a voulu réduire les déficits publics et a ainsi précipité la plus profonde crise économique du 20° siècle.

La persistance de cette croyance est un mystère, alors que la plupart des économistes s’accordent sur le fait que c’est la réduction des dépenses publiques qui exerce un effet dépressif sur la croissance, qui se traduit à son tour par une perte de confiance.

Paul Krugman a appelé cette pseudo théorie «le conte de fée de la confiance» («Confidence fairy»).

Une deuxième argumentation théorique que l’on peut déceler derrière les critères de Maastricht, repose sur la «dévaluation interne», comme substitut à la dévaluation du taux de change. L’argumentation serait la suivante : une politique d’austérité budgétaire va provoquer une chute de la demande globale, donc des investissements et de ce fait entrainer une hausse du chômage qui va à son tour se traduire par une baisse des salaires, donc des coûts de production et in fine des prix de marché. Cette baisse des prix, va finir par rétablir les équilibres extérieurs par augmentation des exportations et diminution des importations, comme aurait pu le faire une dévaluation du taux de change s’il n’y avait pas eu de monnaie unique commune qui a figé une fois pour toute les taux de change nominaux pour chacun des pays membres.

Sur le plan strictement « politique », on comprend la difficulté de présenter ce mécanisme qui fait apparaître l’aggravation du chômage comme le passage obligé vers le rétablissement des équilibres extérieurs. D’où la référence à une théorie néo-libérale du marché du travail qui sert de fondement à des politiques dites «de l’offre», dans lesquelles le rétablissement de la « flexibilité » du travail est supposé conduire au rétablissement des équilibres externes, tout en améliorant la compétitivité du pays. Celui-ci va pouvoir ainsi faire face à la concurrence internationale en exportant davantage, ce qui réduira le déficit de sa balance commerciale et de sa balance courante.

En réalité si à travers ces politiques, un pays parvient à retrouver un équilibre de ses comptes extérieurs, c’est davantage par une réduction drastique des importations (due à l’appauvrissement induit par des politiques d’austérité) que par une augmentation des exportations qui aurait pu favoriser le retour au plein emploi.

La «dévaluation interne» comme substitut à l’absence de flexibilité du taux de change n’a jamais marché pour les raisons attendues par ses défenseurs et pour les pays en déficit. En revanche elle a bien marché pour l’Allemagne qui n’était pas en déficit et qui n’en avait pas particulièrement besoin.

L’histoire des faits économiques (échec du gold exchange standard durant la crise de 1929 et échec des politiques de change d’ancrage fixe au Dollar pour les pays d’Amérique Latine notamment), confirme l’échec des politiques de dévaluation interne.

Pour les néo-libéraux, la rigidité à la baisse des salaires est due à la force des syndicats et à l’intervention de l’Etat qui pour des raisons politiques ou de crainte de désordres sociaux protège son modèle social et maintient le SMIC.
La rigidité salariale peut aussi relever de la réticence des employeurs à perdre leur main-d’œuvre la plus qualifiée et à voir celle-ci perdre toute motivation au travail ce qui entrainerait une chute de la productivité du travail qui serait encore plus préjudiciable à l’entreprise (cf. la théorie du salaire d’efficience).

Par ailleurs, la dévaluation interne rend le coût du crédit plus cher alors même que les capacités de remboursement diminuent du fait de la baisse des salaires. L’augmentation du risque de défaut des ménages, comme des entreprises fragilise les banques qui ne sont pas incitées à accorder davantage de crédits à l’économie. De ce fait les entreprises qui anticipent la réduction du crédit préfèrent attendre avant de répercuter la baisse des salaires sur leurs prix de vente. De ce fait les exportations n’augmentent pas alors que mécaniquement du fait de la baisse généralisée des revenus salariaux, les importations diminuent. Donc le mécanisme de rééquilibrage qui était attendu non seulement ne se produit pas, mais c’est l’inverse qui peut se produire avec la prolongation ou l’accentuation de la crise.

Evoquons un autre argument qui n’est pas perçu par les néo-libéraux adeptes des politiques d’austérité.

L’incertitude sur le risque de défaut des pays en crise à qui l’on fait subir une cure d’austérité, accroit la méfiance des clients potentiels du secteur des produits échangeables et rend ainsi plus difficiles leurs exportations même lorsqu’ils ont baissé leurs prix de vente. Les capitaux loin de s’investir dans ces pays ont tendance à les fuir et à se replier justement sur les pays de la zone Euro qui affichent une balance excédentaire et qui ont le moins besoin de ces fonds. Au total tout concourt à prolonger la crise et à rendre encore plus difficile le rétablissement des équilibres internes et externes.

Les politiques macroéconomiques qui sont menées dans les pays de l’UE (du Sud notamment), ne sont pas très originales. Elles sont du même type que celles qui ont été imposées aux PED après la crise de la dette publique internationale au cours des années 80 et 90.

Ces politiques connues sous l’appellation de « Programme d’ajustement structurel » (PAS), visaient à réduire la demande globale (politiques d’austérité), et à libéraliser l’économie (politiques microéconomiques de l’offre) sur tous les plans (réels et financiers).

Ces PAS ont plongé l’ensemble des PED dans une longue récession pendant une dizaine d’années. La décennie 80 a été qualifiée de « perdue pour le développement ».

Une autre idée reçue de l’idéologie néo-libérale non confirmée ni par la théorie économique, ni par les modèles économétriques est que la baisse du taux d’imposition des sociétés exerce un effet positif sur l’investissement.

Dans la mesure où l’investissement est financé par l’emprunt, les intérêts de ces emprunts sont en règle générale déductibles des impôts. Donc la diminution de l’impôt va faire baisser la déduction fiscale au titre des intérêts des emprunts. Au total, en théorie, l’effet d’une diminution du taux d’imposition des sociétés sur le rendement des investissements est nul. Mais en pratique il est plutôt négatif car les sociétés sont autorisées à déduire de leurs profits au titre de la dépréciation des investissements (amortissements) plus que la dépréciation réelle. De ce fait la réduction du taux d’imposition des sociétés peut conduire à une diminution de l’investissement.

S’inspirant d’une vision monétariste stricte, la politique monétaire menée par la BCE a elle-même été corsetée, puisqu’elle devait se limiter au seul objectif de contrôle des prix (ciblage d’inflation), sans se préoccuper ni de la croissance ni de l’emploi (contrairement à la Fed aux USA).

De ce fait l’UE n’avait aucun moyen de s’attaquer aux inégalités de développement structurel entre les pays membres si ce n’est à travers des politiques d’allocation de fonds structurels sur les infrastructures. Le mode de répartition de ces fonds qui reposait sur des considérations davantage d’ordre politique qu’économique, ont souvent produit des effets pervers tels que une spéculation immobilière et foncière, un laxisme des dépenses publiques, un accroissement de la corruption, etc.

La réalité actuelle marquée par la prédominance de l’idéologie néo-libérale du moins d’Etat, de l’austérité et de la recherche de compétitivité par la seule baisse des salaires (ou ce qui revient au même de l’affaiblissement du pouvoir syndical) et non par des politiques industrielles impulsées par des investissements publics, conduit la zone Euro vers ce que Keynes appelait «un équilibre de sous-emploi». L’économie se stabilise sans crise majeure, à un niveau de sous-emploi qui s’accommode d’un taux de chômage élevé, d’une inflation et d’un taux de croissance faibles ou nuls.

Cette politique à courte vue est en train de favoriser dans toute l’Europe la montée des populismes et des réactions de rejet vis-à-vis de l’UE.

 

 

II/

LE CONSTAT ÉCONOMIQUE EMPIRIQUE DE LA ZONE EURO

A/ L’EURO N’A PAS BOOSTÉ LA CROISSANCE DES PAYS MEMBRES NI FAVORISÉ LEUR CONVERGENCE

Si l’on considère le cas des pays Baltes (l’Estonie, la Lituanie, et la Lettonie), qui appartiennent à l’UE depuis 2004, l’impact économique de leur entrée dans l’Euro (respectivement en 2011, 2015 et 2016) a été plutôt négatif.

Entre 2002 et 2006 avant la crise de 2007-2008 ces pays connaissaient un rythme de croissance de 8 à 9% par an environ. L’effondrement de leur économie entre 2008 et 2011 a été accompagné par une cure d’austérité drastique pour satisfaire aux critères de Maastricht. Après un rebond en 2011, la croissance s’est de nouveau fortement ralentie après leur entrée dans l’Euro pour tourner autour de 2 à 3% en 2016 et 2017.

Le doute s’est installé dans ces pays sur la réalité de la promesse de convergence avec les pays du «cœur» de l’UE, du fait de leur entrée dans l’Euro.

J. STIGLITZ évalue à plusieurs dizaines de milliers de milliards de dollars la perte de croissance potentielle engendrée par l’introduction de l’Euro en données cumulées depuis le début des années 2000.

Du fait de sa position dominante l’Allemagne parvient à mieux tirer profit des opportunités sans toutefois retrouver des taux de croissance aussi élevés qu’avant la crise de 2007-2008.

B/ L’EURO N’A PAS PROTÉGÉ LES PAYS MEMBRES DES CRISES FINANCIÈRES NI FAVORISÉ LEUR REBOND

Si l’on considère par exemple la crise financière de 2007-2008, on constate que les pays qui appartiennent à la zone Euro ont connu au cours de la période 2007-2015 un croissance du PIB par actif de 0,6%, alors que pour les autres pays européens non-membres de l’Euro, ce taux est de 3,9%. Si l’on considère la productivité du travail (production par actif effectivement employé), on constate sa diminution pour la plupart des pays de la zone Euro (6,5% pour la Grèce, 0,7% pour l’Allemagne par exemple), alors que pour la même période aux USA, la productivité du travail a augmenté de 7,9%.

Le taux de chômage reste élevé dans la plupart des pays de la zone Euro.

En outre le nombre d’heures travaillées par actif employé a diminué dans l’ensemble des pays de la zone Euro. Notons au passage que les Grecs ont effectué en 2014 un nombre d’heures de travail supérieur de 50% à celui des Allemands.

Par ailleurs les inégalités ont davantage augmenté dans les pays de la zone Euro et entre ces mêmes pays.

Quand la récession est de courte durée, en général le « rebond » est fort et l’économie retrouve très vite son niveau antérieur. C’est ce qui est arrivé aux Etats-Unis, mais pas dans les pays de la zone Euro. La prolongation de la crise détruit le capital physique, humain et social, ce qui compromet fortement toute reprise rapide de rattrapage du niveau antérieur.

L’Euro semble freiner les processus d’ajustement d’après-crise. Il introduit un facteur de rigidité structurel.

C’est ainsi qu’en 2015 et 2016 la croissance de l’économie allemande a été tirée vers le haut par un effet keynésien de relance de la demande due à l’accueil de un million de réfugiés pour lesquels le budget de l’Etat a consacré 20 milliards d’Euros en 2016 (soit à peu près l’équivalent de l’excédent budgétaire), ce qui représente une augmentation des dépenses publiques de 4,2%, jamais enregistrée depuis la réunification en 1992. Au total du fait également de la consommation induite par les réfugiés, la demande publique et privée a augmenté de 2,5% en 2016. Ceci a eut pour effet de booster les investissements (+2,5%), notamment dans le secteur de l’immobilier (+4,3%).

Pour autant, cette reprise de la croissance de l ’Allemagne reste bien molle. Le dernier rapport de la Banque Mondiale  souligne, qu’après une année 2016 qui a connut le plus faible taux de croissance mondiale (2,3%) depuis la crise financière de 2008, une reprise de l’économie mondiale est attendue pour 2017, sous l’impulsion des pays émergents (BRICS) qui vont bénéficier d’une remontée du cours des matières premières.

Mais les incertitudes politiques qui règnent aux Etats-Unis comme en Europe, vont continuer de peser sur les flux d’investissements internationaux vers les pays émergents et en développement et freiner le taux de croissance de leurs investissements, qui est aujourd’hui de moins de 4%, alors qu’il était de 10% en 2010.

L’Allemagne, du fait du vieillissement de sa population, a une propension à épargner forte. Les ménages allemands placent leur épargne dans des produits financiers et dans la constitution d’un patrimoine. De ce fait la recherche de hauts rendements financiers prime sur toute autre considération d’augmentation des salaires perçus comme concurrents de l’augmentation des profits des entreprises. Cette forte propension à l’épargne permet d’expliquer pourquoi l’Allemagne a mené une politique monétaire de lutte prioritaire contre l’inflation et une politique salariale qui a permis une flexibilisation du marché du travail et qui a conduit à une baisse des salaires (sous Schröder).

Dans ces conditions on comprend mieux pourquoi l’Allemagne a favorisé un « mésalignement » de son taux de change réel.

Ce «mésalignement», dans un contexte de monnaie unique (qui signifie des taux de change nominaux fixes pour tous les pays de la zone Euro), s’apparente à une « dévaluation compétitive interne » qui a permis à l’Allemagne de constituer un excédent de sa balance commerciale extérieure (9% de son PIB !) au détriment de l’ensemble des autres pays de la zone, qui ont subi très fortement la concurrence de l’industrie allemande. Paradoxalement cette situation perverse et «immorale» d’enrichissement au détriment des salariés et des autres pays européens a été présentée par les dirigeants Allemands et par la commission européenne comme «vertueuse».

C’est ainsi qu’après la crise de la dette publique, certains dirigeants du Nord de l’Europe ont pu «faire la leçon» de manière condescendante aux pays qualifiés de manière méprisante du « club-Med » en leur demandant de suivre son exemple. Si tous les pays avaient cherché à réaliser des excédents commerciaux en réduisant leurs importations, il aurait été évident que l’Allemagne aurait eu plus de mal à exporter vers les autres pays. En réalité l’intransigeance de l’Allemagne vis-à-vis des pays tels que la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, n’est en réalité que l’expression de créanciers cherchant avant tout à récupérer leurs créances quel qu’en soit le prix et le coût humain pour les peuples concernés.

L’Allemagne, paradoxalement, est aujourd’hui un problème pour l’ensemble de la zone Euro. En revendiquant un comportement économe, qu’elle considère comme vertueux et en voulant l’imposer aux autres pays de la zone Euro, elle provoque la stagnation économique de tout le monde, y compris elle-même.

Ni la récente augmentation du SMIC en Allemagne (qui reste inférieur à celui de la France), ni l’accueil des réfugiés ne parviendront à relancer l’économie de la zone Euro qui reste aujourd’hui atone alors que les USA et les pays émergents renouent avec une croissance plus soutenue. La France et l’Italie qui sont respectivement la 2° et la 3° économie de la zone Euro ont aussi été contraintes de réduire le déséquilibre de leurs balances extérieures, réduisant encore plus la demande sans que l’Allemagne ne compense cette réduction.

La situation actuelle n’est plus tenable. L’Euro est menacé de toutes parts : de l’intérieur, autant par les déséquilibres économiques entre ses membres que par une idéologie économique désastreuse; et de l’extérieur par les autres grandes puissances que sont les Etats-Unis et la Chine.

Revenir aux anciennes monnaies nationales et abandonner purement et simplement l’Euro comme monnaie unique commune pourrait être vécu comme un recul de toute la construction européenne et remettre en question tous les espoirs de paix et de prospérité partagés portés par des peuples qui au cours du 20° siècle se sont livrés à des guerres effroyables qui ont fait des dizaines de millions de morts.

 

III/

LES ENJEUX ÉCONOMIQUES D’UNE SORTIE DE L’EURO

A/ UNE SORTIE « PAR LE BAS » : CONCERTÉE OU EN DÉSORDRE.

1°) LES CONDITIONS D’UN DIVORCE À L’AMIABLE ENTRE LES PAYS DE LA ZONE EURO.

Il s’agit ici d’envisager pour un pays une « sortie » de l’Euro qui soit la moins coûteuse possible pour l’ensemble des pays de la zone.

L’idéal serait en fait que l’Allemagne seule (ou en compagnie des Pays bas, de la Finlande…) sorte de la zone Euro pour créer, comme le suggère J. STIGLITZ, un « Euro nordique » ou un « Euro-Mark ». Dans ce cas les autres pays garderaient l’Euro sous sa forme actuelle. Celui-ci se dépréciera immédiatement par rapport à l’Euro nordique. Ils pourraient alors rétablir d’autant plus facilement leurs balances commerciales qu’il n’y aura probablement pas d’attaques spéculatives contre l’Euro ni de nécessité de conversion des dettes dans une nouvelle monnaie.

N’étant plus contraints par la vision monétariste et rigoriste de l’Allemagne, les autres pays pourront ajuster et coordonner leurs politiques monétaires et budgétaires en visant le plein-emploi et la croissance. De son côté l’Allemagne et les pays qui veulent la suivre, n’auront plus la possibilité par un taux de change réel sous évalué, de réaliser des excédents au détriment des autres pays européens et du monde. Il leur faudra bien alors revoir leur doctrine et envisager une augmentation des salaires pour booster leur demande intérieure et compenser ainsi la baisse de leur demande externe (exportations). De facto alors on pourra assister à une convergence au sein de l’UE entre les pays du Nord, du Sud et de l’Est.

Comme il est peu probable que l’Allemagne veuille quitter d’elle-même un système qui lui profite tellement et que les autres gouvernements n’ont ni la volonté ni la capacité de lui résister, on peut envisager des scénarii différents, plus coûteux mais toujours amiables.

Par exemple des regroupements régionaux de la zone Euro tels que un Euro-Med (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Malte, Chypre), un Euro- Est (Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovénie, Slovaquie auxquels pourraient s’adjoindre la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie, la Croatie) et les autres pays  (Allemagne, Autriche, Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Finlande, Irlande) qui pourrait s’agrandir avec le Danemark et la Suède, conserveraient le cadre actuel de l’Euro. Mais ce ne serait pas la meilleure solution pour le renforcement de la construction européenne.

2°) LES RISQUES D’UNE SORTIE DÉSORDONNÉE DE L’EURO.

    1. Risque bancaire.

Comment les systèmes bancaires nationaux peuvent-ils réagir à un mouvement de défiance envers la nouvelle monnaie qui précipiterait les détenteurs de compte à retirer leur argent des banques en anticipant une dévaluation probable, voire une faillite de certaines banques ? Ce risque est conforté par l’absence d’accord d’union bancaire à l’intérieur de la zone Euro. Comment vont se comporter les banques elles-mêmes et comment l’Etat ou les Etats peuvent-ils les contrôler ? Quels sont les outils qui permettraient d’inciter les banques à assurer leur fonction d’intermédiation financière au service du crédit aux entreprises (PME notamment) pour financer des investissements productifs générateurs de croissance et d’emplois. Quelles sont les modalités de mise en œuvre de ces outils ?

    1. Le risque de défaut sur la dette.

Le deuxième risque majeur d’une sortie de l’Euro réside dans le risque de faire faillite et de se retrouver ainsi exclu des financements internationaux nécessaires au paiement du déficit de sa balance commerciale et de son compte courant.

Soulignons que les politiques qui ont été imposées aux pays en déficit n’ont pas permis de ramener ces déficits (interne et externes) à un niveau soutenable et ont au contraire aggravé leur situation de manière dramatique. En retrouvant leur souveraineté monétaire le ou les pays en sortie de l’Euro retrouvent du même coup la flexibilité de leur taux de change et par là son rôle pour rééquilibrer la balance commerciale en augmentant les exportations et en freinant les importations à travers la dépréciation de la monnaie nationale (dévaluation).

Le risque d’attaques spéculatives contre la ou les nouvelles monnaies n’est pas exclu. Il peut être jugulé si la BCE continue de jouer un rôle de prêteur en dernier ressort. Ce qui suppose une forte coordination entre la BCE et la BC du pays qui vient de quitter l’Euro. Normalement, les marchés financiers savent bien gérer les risques de change à travers des produits dérivés, ce qui peut limiter l’impact déstabilisateur sur la monnaie nouvelle. Mais, la notation du risque pays peut exercer un effet négatif sur le «spread» du taux d’intérêt et augmenter le coût du service de la dette. La BCE pourrait sinon mutualiser les dettes des pays de l’UE (en raison notamment du refus prévisible de l’Allemagne et d’autres pays du Nord ou de l’Est peu enclins à la solidarité) du moins jouer un rôle d’amortisseur par des opérations de swaps partielles ou totales, selon le degré de crédibilité des politiques macroéconomiques suivies par les pays endettés.

Bref, le risque de défaut pourra être limité par une politique intelligente de la BCE, mais pour les pays lourdement endettés il conviendra de toutes façons de RESTRUCTURER la DETTE. Celle-ci va avoir tendance à augmenter mécaniquement du fait de la dépréciation de la monnaie qui quitte la zone Euro. Il conviendra de convertir la dette existante dans la nouvelle monnaie, allonger sa maturité et gérer sa réduction. Des mécanismes financiers existent pour cela, qui ont fait leur preuves au moment de la crise de la dette des pays en développement au cours des années 80 (Opérations de «Debt Equity swaps», de «Debt exit Bonds», «Debt buy back», etc.).

3. Le risque de déséquilibre extérieur croissant.

La dépréciation du taux de change de la monnaie du fait de sa sortie de la zone Euro peut s’avérer insuffisante pour rééquilibrer les comptes extérieurs du pays concerné, en raison d’une rigidité des élasticités prix des exportations et des importations et/ou d’une tendance à la fuite des capitaux.

Pour favoriser le processus d’ajustement de la balance courante extérieure et rétablir la confiance des investisseurs, J. STIGLITZ reprend à son compte la proposition de Warren Buffet de créer des « certificats d’importation ou d’exportation » (« Trade Chits »). Tout exportateur se voit remettre un certificat d’exportation de la même valeur que celle de ses exportations.

Tout importateur doit acquérir des certificats d’importation de valeur équivalente à celle de ses importations. De ce fait la balance commerciale sera toujours équilibrée.

Eventuellement l’Etat pourra fixer un objectif d’excédent de sa balance commerciale et dans ce cas il n’émettra des certificats d’exportations que pour une valeur inférieure, ce qui freinera d’autant les importations. La stabilisation des variations du compte courant ainsi obtenue favorise la stabilité du taux de change et la crédibilité du pays à soutenir sa dette extérieure. En effet la pression à la hausse des importations se traduit par une hausse du cours des certificats d’importations et non pas par une dépréciation monétaire.

4. Le risque de crise systémique.

La globalisation financière, ainsi que l’a bien montré la crise financière des subprimes de 2008, a accentué l’intégration et l’imbrication des marchés financiers et des institutions financières et non-financières. C’est cette forte intrication qui permet de rendre compte de la notion de risque systémique qui reste toujours difficile à évaluer en raison même de l’opacité de la finance et des banques. On sait que chacune des grandes banques de la zone Euro détient des créances et des avoirs de l’ensemble des autres banques de la zone. De ce fait personne ne peut mesurer par exemple, l’ampleur du risque systémique associé à une faillite des banques italiennes aujourd’hui sur la sellette comme BMPS.

La sortie d’un pays de la zone Euro peut provoquer une crise systémique en raison des variations de la valeur des avoirs détenus par les banques à la suite de la dévaluation induite par cette sortie. Tout dépend de la taille et du poids de l’économie en question. La sortie de la Grèce (Grexit) ne présenterait pas le même risque systémique que la sortie de la France (Frexit).

On peut par exemple s’attendre à ce que le retour au Franc, comme le préconisent certains candidats à la prochaine élection présidentielle en France, s’accompagne de sa dépréciation sur le marché des changes du fait de la balance extérieure fortement déficitaire de la France et de sa compétitivité internationale.

Le risque de défaut des institutions endettées va s’accroitre et faire fuir les capitaux du pays. Par effet de contagion, les capitaux vont fuir également les pays de la zone Euro les plus fragiles.

Au total, on pourrait assister à une sortie généralisée d’autres pays de la zone Euro et finalement à l’effondrement total de la monnaie unique. Chaque pays selon sa situation va alors se livrer à des dévaluations compétitives qui peuvent entraîner de la part des autres des mesures protectionnistes et l’on reviendrait à une Europe divisée où chaque pays chercherait à maximiser ses intérêts au détriment de ceux des autres dans une guerre économique qui conduirait à l’appauvrissement de tous.

B/ UNE SORTIE « VERS LE HAUT »

Dans son dernier livre sur l’Euro, le prix Nobel d’économie, Joseph STIGLITZ exprime son scepticisme sur la réelle volonté ou possibilité politique pour les pays de la zone Euro d’aller vers des réformes économiques et politiques favorables à plus d’intégration pour remédier aux inconvénients des effets déstabilisateurs et inégalitaires de la monnaie unique sur les pays de la zone Euro.

Il envisage alors trois « voies possibles. La première est la stratégie actuelle de navigation à vue : faire le minimum pour empêcher l’éclatement de la sone euro mais pas assez pour lui rendre la prospérité. La deuxième est la création de l’Euro flexible…La troisième option est un divorce. »

Nous exposerons ici la voie vers « plus d’intégration européenne », qui aurait la préférence de Stiglitz, mais à laquelle il ne croit pas.

Plutôt que de détruire tout ce qui a été bâti ou de régresser vers «moins d’Europe», on peut envisager une voie inverse vers « plus d’Europe ».

Celle-ci doit se construire par étapes plus progressives vers une intégration européenne moins idéologique et plus attentive aux différences structurelles, économiques, sociales et culturelles entre les différentes nations qui la composent. Cette intégration respectueuse des spécificités, doit se traduire par une dynamique de croissance «inclusive» permettant un rattrapage des pays les moins développés vers les pays les plus développés et une convergence structurelle vers plus de bien-être pour tous les peuples.

Quelles ont les réformes à envisager pour aller dans cette direction ?

  1. Des réformes financières
    1. Union bancaire
    2. Mutualisation des dettes
  2. Des réformes structurelles
    1. Union budgétaire
    2. Accroitre la flexibilité de l’économie
    3. Mutualisation des déficits et des excédents extérieurs.

1/ DES RÉFORMES FINANCIÈRES.

Celles-ci doivent tirer les enseignements des échecs du néo-libéralisme idéologique et en premier lieu faire du plein-emploi et de la croissance la cible prioritaire des politiques monétaires et financières en abandonnant l’ancienne lubie du «ciblage d’inflation».

Ce changement d’objectif signifie un changement de perspective de la politique économique. Celle-ci doit être portée par des Etats qui coordonnent leurs actions et qui abandonnent l’idée d’une autorégulation spontanée de marchés, notamment financiers, «libres» de toute entrave, prétendument vertueux et conduisant toujours à l’efficience.

a) L’Union bancaire européenne.

Au premier rang des institutions d’une économie de marché « décentralisée », il y a les banques. Celles-ci, livrées à elles-mêmes, ont des comportements court-termistes et manifestent une myopie qui, comme on l’a vu à l’occasion de toutes les crises financières du 20° siècle, ne répondent pas aux besoins de la croissance et de l’emploi par une politique sélective d’allocation du crédit.

Sans aller jusqu’à leur nationalisation complète, même si une nationalisation partielle peut être envisagée, on doit aller nécessairement vers une UNION BANCAIRE à l’échelle européenne.

Il ne s’agit plus seulement de définir des mesures « prudentielles » à travers les différents Accords de Bâle 1, 2, 3…mais d’unifier l’ensemble du système bancaire par des procédures communes et une garantie commune des dépôts.

L’Union bancaire permettra d’éviter les mouvements de capitaux déstabilisateurs au sein des pays de la zone Euro. Elle doit s’accompagner de règles communes d’organisation de la gouvernance des banques, de mesures prudentielles adaptées à la conjoncture propre à chaque pays, de modalités identiques de gestion et de règlement des faillites bancaires.

Il conviendra également de favoriser le financement de l’économie par le crédit bancaire (notamment vers les PME). Jusqu’à présent les liquidités massives injectées par la BCE sont revenues vers elle à travers l’accroissement des réserves bancaires auprès de la BCE ou ont servi à accroître les actifs financiers (obligations d’Etat et des grandes entreprises) ou encore à alimenter des marchés spéculatifs improductifs (notamment dans l’immobilier et le foncier).

La vague de libéralisation financière (cf. la règle des 3 « D ») a accentué les visions court-termistes. Le «corporate governance» a incité les entreprises à affecter leurs bénéfices non pas à des investissements de long terme mais au rachat de leurs propres actions sur les marchés financiers

Ce que les crises financières ont bien montré, c’est l’incapacité, ou la non efficacité, des systèmes financiers libéralisés à assurer une allocation optimale de l’épargne vers les projets les plus rentables. Notamment le système bancaire a déserté son métier véritable d’assurer une intermédiation financière entre l’épargne et l’investissement au profit d’activités jugées plus lucratives de spéculations financière mais qui sont totalement improductives.

Le tropisme financier se manifeste aussi dans la gouvernance des entreprises qui rachètent leurs propres actions sur les marchés (4% du PIB sont ainsi détournés) et qui accroissent la rémunération de leurs dirigeants, à travers les « stocks option » notamment mais pas seulement, de manière inconsidérée et sans lien avec les résultats de l’entreprise.

L’épargne à long terme des ménages des pays développés et qui est confiée à des fonds souverains ne parvient pas à financer des investissements à long terme en raison justement du tropisme court-termiste des marchés financiers.

Par ailleurs avec la course au moins-disant fiscal entre les pays européens, et les comportements d’évitement de l’impôt auquel se livrent les grandes FMN et les ménages les plus riches, on assiste à une diminution de l’assiette fiscale qui serait pourtant nécessaire  aux politiques de redistribution et de financement des grands services publics. Il en résulte une accentuation des inégalités entre les pays et les territoires et entre les citoyens d’un même pays. Ces inégalités croissantes provoquent des déséquilibres économiques et déstabilisent la construction européenne dans son ensemble.

b) La mutualisation des dettes.

Cette mesure permettra de limiter les effets déstabilisateurs des mouvements de capitaux et de population qui interviennent à la suite d’un surendettement. La BCE peut émettre des « EUROBONDS » garantis par l’ensemble de la zone Euro de façon à pouvoir prêter directement aux Etats de la zone Euro. La mutualisation des dettes signifie des règles identiques qui fixent les conditions d’emprunt et éventuellement selon les circonstances et la conjoncture, d’utilisation des fonds empruntés.

Un pays qui dépasse ses capacités d’endettement ne pourra bénéficier de nouveaux prêts que s’ils servent à restaurer ses capacités de remboursement en investissant à long terme dans des secteurs tels que la recherche développement, l’éducation, la formation professionnelle, les énergies renouvelables, etc.

2°) LES RÉFORMES DE STRUCTURE

a) Une union budgétaire.

Les critères de Maastricht qui ont prouvé leur totale inefficacité du point de vue de leurs objectifs supposés de stabilisation et de convergence, doivent être entièrement repensés pour s’inscrire dans une vision de solidarité, de lutte contre le chômage et d’investissements à long terme dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la recherche fondamentale, de l’environnement et des énergies renouvelables.

A l’instar des « fonds structurels européens », il faudrait créer « un fonds structurel de solidarité pour la stabilisation » (Stiglitz, J.) qui entrerait automatiquement en action dès qu’un pays est confronté à une récession ou à une crise qui pourrait remettre en cause ses capacités d’endettement ou de remboursement de sa dette.

Ce fonds de solidarité doit s’inscrire dans un « pacte budgétaire commun » (Stiglitz,J.) qui définit une discipline budgétaire partagée, le champ et les conditions de la solidarité, les nouveaux instruments de politique économique budgétaire et monétaire commune et le rôle des institutions existantes ou nouvelles pour accompagner ces politiques de manière souple et différenciée et non par des règles rigides de type « critères de Maastricht ».

Dès lors la question centrale de la politique économique devient celle de la «bonne gouvernance» des Etats et de la qualité des institutions.

b) Accroitre la flexibilité

Compte tenu du caractère rigide des taux de change et d’intérêt induit par la monnaie unique, le système doit retrouver de la flexibilité. Celle-ci ne doit pas porter sur le seul marché du travail et seulement par des politiques de rigueur salariale.

La flexibilité doit aussi porter sur la finance (le capital) dans sa fonction de simulation de l’épargne, d’allocation sélective du crédit, notamment en direction des PME et de prévention des facteurs d’instabilité financière (formation de bulles spéculatives). La flexibilité recherchée sur le marché du travail ne doit plus se focaliser sur le seul salaire mais sur la recherche de meilleures conditions d’employabilité et d’adaptation des salariés aux changements technologiques (généralisation de l’économie numérique par exemple).

Un autre champ de flexibilité à explorer et développer est celui de l’intervention et du rôle de l’Etat.

c) Mutualiser les excédents et les déficits extérieurs.

A l’échelle mondiale, déficits et excédents des comptes courants doivent obligatoirement s’équilibrer. Ce qui signifie qu’un pays en excédent est nécessairement créancier d’un pays en déficit. A l’échelle mondiale, la Chine a été structurellement en excédent et les Etats-Unis en déficit. A l’échelle de l’UE, l’Allemagne a été le plus souvent en excédent, et l’est aujourd’hui de plus en plus; alors que la France, l’Italie, et d’autres pays sont structurellement en déficit.

Les excédents sont aussi nocifs que les déficits dès lors qu’il n’existe plus de flexibilité du taux de change pour jouer comme force de rappel vers l’équilibre.

De ce fait, les pays qui favorisent la recherche d’excédents de leurs balances courantes génèrent des sorties de flux de capitaux vers d’autres pays sous forme d’endettement. Au fur et à mesure qu’elle grossit cette «dette internationale» fait courir un risque de crise financière systémique dès lors que pour des raisons les plus diverses, qui ne sont pas forcément rationnelles, on peut avoir une réorientation brutale de ces flux d’endettement («flight to quality» puis «flight to security» ou «sudden stop»). La crise de la dette internationale est aujourd’hui une cause d’instabilité majeure de la finance internationale qui a sa source dans les excédents et les déficits structurels des balances courantes et qui est portée par les banques et de plus en plus également par la finance de l’ombre (le « shadow banking » qui représente près de 40000 milliards de Dollars dans le Monde.

Si l’on considère l’ensemble de la zone Euro comme à l’équilibre sur le plan de sa balance courante, l’existence en son sein de pays en situation d’excédents signifie obligatoirement que d’autres sont en déficit. Les pays en excédent sont donc les créanciers des pays en déficit. Or la relation entre créanciers et débiteurs qui est par définition asymétrique, place les pays débiteurs sous la tutelle des pays créanciers et rend difficile la recherche de politiques convergentes et la conciliation des intérêts des uns et des autres. Aujourd’hui l’UE est une association de pays qui ont des relations de type créanciers-débiteurs qui sont par nature conflictuelles et non coopératives. Il importe donc si l’on veut remédier à cette situation d’empêcher que des pays recherchent systématiquement à réaliser des excédents au détriment des autres pays de la zone Euro et pour cela il faut impérativement mutualiser excédents et déficits extérieurs

Malheureusement cette analyse macroéconomique, n’est pas évidente ni comprise par des technocrates et des politiques, aveuglés par un crédo néo-libéral. On continue à présenter l’Allemagne comme le «bon modèle» à imiter, et, à prôner la flexibilité du travail et des politiques d’austérité, comme des objectifs vertueux devant conduire à la réduction du chômage et au rétablissement de la croissance, alors même que c’est l’inverse qui est en train de se produire. Les écarts entre les pays de la zone Euro ne cessent de s’accentuer, la dette publique des pays soumis à l’austérité ne cesse de croitre en devenant de plus en plus insoutenable, le chômage se réduit à peine mais au prix d’une émigration de plus en plus massive, notamment des jeunes diplômés. Au total il paraît de plus en plus évident que le « pacte de stabilité et de croissance » est totalement inopérant.

CONCLUSION

D’autres solutions sont possibles autres que celles que nous avons privilégiées à la suite de Joseph STIGLITZ.

Par exemple, on peut imaginer qu’au-delà du statu quo actuel qui risque de conduire à l’éclatement de l’UE, on envisage des réformes plus ou moins profondes pour répondre aux principales critiques qui sont aujourd’hui émises par les opinions publiques européennes. Réduire les réglementations inutiles et tatillonnes, mieux contrôler la commission européenne en donnant une prééminence au parlement européen, relâcher les critères de Maastricht, accroitre le budget européen et lancer des « grands investissements » qui amplifieraient le « plan Junker » actuel, mutualiser les dépenses de défense et de sécurité, etc. Ce scénario peut éventuellement permettre de relâcher pour un temps les critiques à l’égard de l’UE.

Il a été souvent évoqué également la solution des « cercles concentriques » avec un noyau central de pays qui accepteraient d’aller le plus loin dans l’abandon de leurs souverainetés respectives au profit d’un Etat fédéral avec notamment un budget commun, une fiscalité commune, une défense étrangère commune et une même représentation diplomatique. Cette intégration doit être accompagnée par des réformes institutionnelles et politiques sur le mode de représentation des citoyens et l’exercice de la démocratie. Les autres cercles seront aussi difficiles à définir, de même que les conditions et les modalités d’entrée ou de sortie d’un cercle à l’autre. Une question difficile de la solution d’une UE à plusieurs vitesses, est celle de la complexité des relations entre pays européens selon la zone à laquelle ils appartiennent.

Le scénario d’une Europe à plusieurs vitesses peut aussi conduire à une séparation du Nord et du Sud et à offrir à l’Europe du Sud, l’opportunité d’une véritable politique euro-méditerranéenne qui intégrerait, à plus ou moins long terme, l’ensemble des pays du pourtour méditerranéen.

Dans cette perspective la France pourrait retrouver un rôle moteur du fait de son histoire méditerranéenne mais aussi de sa position médiatrice avec l’Europe du Nord et de l’Est qui inclurait la Russie.

Malheureusement aujourd’hui on est très loin de cette perspective !

BIBLIOGRAPHIE

. Robert Mundell (1961), « A Theory of optimum currency areas », AER, vol. 51

. Ronald I. McKinnon, (1963), «Optimum Currency Areas», The American Economic Review.

. Charles Kindleberger, (1986) « International public goods without international governement », The American Economic Review.

. Jacques Sapir (2012), “Faut-il sortir de l’Euro”, Seuil.

. Marc-Alexandre Sénégas, (2010), « La théorie des zones monétaires optimales au regard de l'euro », Revue d'économie politique, vol. 120,

. Joseph Stiglitz (2016) «L’Euro, comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe», Editions Les Liens qui libèrent, LLL. 500p.

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